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1 mai 2017 Finances

“Le projet de décret est un grand risque pour nos régimes”

Entretien avec la Présidente de la CNAVPL

La Direction de la Sécurité Sociale a produit le 2 mars 2017 un projet de décret relatif à l’organisation financière des régimes d’assurance vieillesse gérant des régimes de retraite complémentaires. Le Conseil d’administration de la CNAVPL a rejeté ce texte à l’unanimité le 30 mars et demande l’ouverture d’une réelle concertation. En réponse, un projet de décret, très légèrement amendé par rapport au texte initial, a été envoyé au Conseil d’État pour analyse. Monique Durand, Présidente de la CNAVPL, explique la position de notre institution.

Quelles sont vos oppositions à ce texte ?

Monique Durand : Nous considérons que le texte transmis au conseil d’Etat, est un danger pour nos régimes, il est préjudiciable aux intérêts de nos ressortissants. Au lieu de sécuriser nos placements, ce projet se traduira par des risques moins bien couverts, une perte de rendements financiers qu’il faudra combler par des hausses de cotisations !

Au regard du principe d’égalité, ce projet de texte nous questionne : il ne concerne que certains régimes complémentaires. De même, il s’applique à des régimes de base. Or, ces derniers ont des modalités de gestion très différentes. Le mélange des régimes, certainement peu justifiable, pose un véritable problème. Ce sera très certainement un des sujets de fond que le Conseil d‘État aura à qualifier juridiquement.

Ce n’est pas par volonté de bloquer. Nous sommes demandeurs depuis plusieurs années de la révision de notre cadre règlementaire qui date de 2002. Nous partageons tous le même intérêt d’avoir une réglementation à jour permettant de gérer au mieux les réserves constituées par nos affiliés.

Quels sont les enjeux financiers ?

M. D. : Sur l’ensemble des régimes de notre Organisation, les réserves accumulées représentent une trentaine de milliards d’euros. Si le décret devait s’appliquer, le rendement risque de diminuer de plusieurs centaines de millions d’euros par an pour de mauvaises raisons (comme l’application de règles inadaptées à nos régimes). Ce qui obligera les régimes à augmenter davantage les cotisations des actifs dans les années à venir.

Les régimes complémentaires des libéraux ont tous choisi, il y a plus de trente ans, une politique d’accumulation de réserves pour garantir la retraite des générations nombreuses de l’après-guerre. C’est le principe de la répartition provisionnée : les libéraux d’aujourd’hui financent une partie de leur retraite de demain en sur-cotisant. Cela permet de constituer des réserves qui seront sollicitées pour le financement des retraites à venir. De plus, ces réserves permettent aujourd’hui de financer l’économie réelle. Ce qui est très favorable pour le pays mais aussi pour les affiliés (qui bénéficieront du rendement de ces réserves pour le financement de leurs droits futurs).

J’ai l’impression que ce principe, qui nous paraît totalement naturel et responsable, pose des problèmes métaphysiques à certains. Notamment dans certaines administrations qui verraient bien dans les réserves accumulées par certains la possibilité de financer à bon compte les retraites des autres.

Concrètement, quels sont les points qu’il faut adapter ?

M. D. : Pour nous, il faut reprendre entièrement le texte. Il est illisible, même pour les plus grands spécialistes de la place. Avec ses 58 articles, dont certains comptent jusqu’à 10 alinéas, ce projet de décret se révèle d’une grande complexité, source d’interprétations et de contestations. Pire : des arrêtés, dont nous ne connaissons rien, devront préciser les modalités de points majeurs.

En continuant d’assimiler les Caisses de retraite à des régimes d’assurance-vie, ce projet de décret, qui souhaite en calquer les modes de pilotage, nie nos spécificités et notre rôle dans le financement de l’économie réelle. Les obligations d’adossement qu’il impose sont contradictoires avec une gestion actif-passif cohérente.

Autre règle imposée par ce texte et totalement inadaptée : la mutualisation des investissements via des fonds dits mutualisés. De même, le fait de limiter les possibilités de couverture et les contraintes de suivi des placements sont impossibles à mettre en œuvre. Et que dire des attributions très incertaines de la personne qualifiée, choisie par l’État, pour participer à chaque commission de placement ?

Dernier exemple, la volonté de limiter les frais de gestion se heurte à des contraintes de reporting et de suivi des frais sur la moindre modification du portefeuille. A tel point que cela aura l’effet contraire ! Compagniesd’assurance, mutuelles ou institutions de prévoyance, aucun autre investisseur institutionnel ne supporte aujourd’hui ce poids de contraintes !

Où en est-on aujourd’hui ?

M. D. : Le Gouvernement a envoyé un nouveau projet. Celui-ci a subi quelques modifications pour corriger quelques-unes des plus grosses difficultés du texte (transparisation « permanente » des actifs, délais de revente des actifs qui ne seraient plus éligibles, quotas des fonds mutualisés, date d’application du texte reportée au 1er janvier 2018). De plus, le texte serait applicable au 1er janvier 2018, preuve qu’il n’y a pas une urgence à ce qu’il paraisse au mois prochain. Nous avons alerté le Conseil d’État des limites substantielles de ce texte et préconisons une concertation avec le prochain gouvernement pour le réviser d’ici à quelques semaines. C’est bien dans ce sens que nous avons écrit une lettre ouverte envoyée à chaque candidat de l’élection présidentielle.